[Conférence] Luther "le Chérusque", héros fondateur de l'imaginaire national germanique
Jeudi 7 février 2019. 18-19 h.
Brigitte KRULIC, professeure à l’université de Paris Nanterre.
Luther "le Chérusque", héros fondateur de l'imaginaire national germanique.
"La traduction en allemand de la Bible, commencée par Luther à la Wartburg, constitue l’acte inaugural de l’émergence d’un imaginaire « national » germanique. Cet épisode fondateur s’inscrit dans un mouvement amorcé plusieurs décennies plus tôt, avec la redécouverte des manuscrits de Tacite, prélude à la cristallisation du mythe d’Arminius : le Chérusque vainqueur des légions de Varus est érigé en héros fondateur du peuple (Volk). C’est à Luther que l’on attribue communément la germanisation d’Arminius en Hermann (« l’homme de l’armée »). Le guerrier des forêts germaniques sert efficacement la formidable dramaturgie de la Réforme, par effets de miroir et surimpression d’images. Luther en a donné lui-même une célèbre illustration dans ses Propos de table : « Ita nunc Luther Cheruskus, eyn Hartzlander, Romam devastat ». Ainsi s’esquisse, dans cette entité mal définie qu’est le Saint-Empire, une continuité qui fonctionne comme principe d’intelligibilité : à la Rome des Césars succède la Rome des papes, à la Germanie antique le Saint-Empire, dans une vision qui oppose la liberté germanique à la volonté hégémonique de l’« étranger », incarné par les peuples latins ou néo-latins, le clergé corrompu à un peuple fidèle à ses vertus ancestrales. Valorisation de la langue vernaculaire, exaltation de la liberté du chrétien, détachée de toute visée politique et sociale, la Réforme modèle en profondeur l’éveil d’un imaginaire national défini en-dehors de la référence étatique. Elle pose les fondements de la conception ethnoculturelle de la nation, élaborée par les Lumières allemandes en réaction contre l’universalisme « importé », conception qui s’articule autour des notions de Kultur, d’« intériorité » et de « caractère national » incarné dans la langue maternelle. Les guerres napoléoniennes réactivent le schéma identitaire tracé à l’époque de la Réforme, dont on retrouve l’influence dans les interprétations culturalistes de la « voie particulière » (Sonderweg), au lendemain de la « catastrophe allemande » du XXe siècle."
Cette conférence, proposée en marge de l'exposition Un moment protestant de l'Institut. Le concours de l'an X sur la réformation de Luther, est organisée par la Bibliothèque de l'Institut de France et la Société de l'histoire du protestantisme français.
Pour ceux qui le souhaitent, elle sera précédée à 17h15 d’une visite de la Bibliothèque de l’Institut de France et de l’exposition.
La prochaine et dernière conférence aura lieu le jeudi 21 février (18h-19h): "Entre l’Édit de Nantes et sa Révocation : la communauté des négociants néerlandais à Rouen face aux divisions religieuses" avec Willem FRIJHOFF, professeur émérite à l’université de Rotterdam